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Quelle est l'origine du coronavirus SARS-CoV-2 et de l’épidémie de COVID-19 ?
Texte mis à jour le 2020-12-22
Le virus SARS-CoV-2 est apparenté aux coronavirus de chauves-souris du Sud de la Chine. Nous ne savons pas encore comment les premiers humains ont été contaminés. La question de l’origine de SARS-CoV-2 est relativement peu étudiée par les chercheurs, alors que les enjeux scientifiques et politiques associés sont importants.
De nombreux scénarios ont été proposés concernant l’origine du virus de la COVID-19, le SARS-CoV-2, jusqu’à sa détection à Wuhan en décembre 2019.
D’où vient le SARS-CoV-2 ?
- Le coronavirus SARS-CoV-2 fait partie de la famille des betacoronavirus. Il est apparenté à des coronavirus infectant naturellement les chauve-souris.
- Le virus le plus proche de SARS-CoV-2 est RaTG13 (96% d’identité de séquence, environ 1100 mutations éparpillées parmi les 30 000 lettres du génome total, ce qui signifie qu’ils sont distants de quelques dizaines d’années). Il a été récolté en 2013 sur une chauve-souris Rhinolophus affinis dans une ancienne mine désaffectée du Yunnan (1900 km de Wuhan), où en 2012 plusieurs personnes avaient souffert d’une pneumonie sévère après avoir nettoyé les déjections de chauves-souris.
- RaTG13 n’est pas l’ancêtre de SARS-CoV-2 mais un cousin. Il existe donc un autre virus de chauve-souris dont sont issus RaTG13 et SARS-CoV-2. Nous l’appellerons le virus ancêtre, et son origine est probablement le sud de la Chine.
Comment le SARS-CoV-2 s’est-il formé à partir du virus ancêtre ?
- SARS-CoV-2, RaTG13 et d’autres virus de chauve-souris ont des séquences proches, ce qui suggère des liens de parenté.
- SARS-CoV-2 a évolué par rapport au virus ancêtre et contient notamment de courtes séquences lui permettant de se lier aux cellules humaines et de les infecter.
- SARS-CoV-2 ne contient aucun fragment de séquences précédemment publiées dans les bases de données publiques de coronavirus. On peut donc en déduire que SARS-CoV-2 n’est pas un virus construit au laboratoire en assemblant des séquences connues.
- De petits morceaux d’ARN du coronavirus sont identiques à des séquences présentes dans le génome du virus VIH-1. Les études phylogénétiques indiquent que ce sont des insertions arrivées à différents moments de l’histoire évolutive du virus et elles sont si petites que cette similarité entre les génomes des deux virus est très probablement fortuite. Aucune donnée actuelle ne montre que le SARS-CoV-2 résulte de recombinaisons avec le VIH-1.
Comment l’épidémie a-t-elle commencé ?
Ce que nous savons
- Les séquences du coronavirus SARS-CoV-2 du début de l’épidémie sont extrêmement proches les unes des autres (juste quelques différences de nucléotides) alors que celles d’aujourd’hui sont beaucoup plus variées. Toute l’épidémie s’est donc développée à partir d’un foyer infectieux initial, que l’on peut dater entre octobre et début décembre 2019. Cela signifie que les premiers patients COVID-19 de Wuhan sur lesquels on a effectué des prélèvements dérivent de ce foyer. Mais le premier humain (patient zéro) n’a pas été identifié et a peut-être été contaminé avant. Le virus a pu circuler silencieusement dans la population avant de déclencher le premier foyer épidémique détecté.
- Le marché de fruits de mer de Chine du Sud à Wuhan a probablement joué un rôle dans la propagation de l’épidémie mais ce n’est pas là que le premier humain a été infecté car les patients qui ont été les premiers à présenter des symptômes début décembre 2019 n’avaient pas de lien avec ce marché.
Ce que nous ne savons pas
- Où et quand le premier humain (patient zéro) a été infecté.
- S’il y a eu un intermédiaire entre la chauve-souris et l’homme. Pour les deux autres coronavirus qui ont causé des épidémies chez l’homme, un hôte intermédiaire a été identifié : le chameau pour le MERS-CoV et la civette pour le SARS-CoV. Ces hôtes constituaient un réservoir permettant au virus d’évoluer rapidement et d’acquérir ses propriétés infectieuses pour l’homme. L’hypothèse du pangolin comme intermédiaire pour SARS-CoV-2 n’est pas étayée par des données convaincantes.
- Si le virus a commencé par circuler silencieusement dans une population humaine avant d’acquérir ses propriétés infectieuses.
Ainsi, en décembre 2020, il manque encore des éléments clés pour comprendre l’origine de l’épidémie. Plusieurs scénarios sont envisageables :
- Le premier est l’infection d’un humain par une chauve-souris, puis propagation au sein de la population humaine.
- Le second est qu’un animal ait servi d’hôte intermédiaire entre la chauve-souris et l’homme et permis au virus d’acquérir son caractère hautement infectieux. Ce scénario est plausible car il a déjà été observé pour les épidémies de SARS et de MERS. Il n’est cependant pas démontré dans le cas de SARS-CoV-2 car l’hôte intermédiaire n’a pas encore pu être identifié.
- la troisième hypothèse est que le SARS-CoV-2 pourrait avoir été stocké dans un laboratoire, puis libéré accidentellement. Ce scénario a nourri des thèses complotistes sur l’origine de l’épidémie.
Pour l’instant, on ne peut exclure aucun de ces 3 scénarios. Pour comprendre quel est le bon scénario, il faudrait réussir à identifier des virus très proches du SARS-CoV-2, soit chez un hôte intermédiaire, soit dans des échantillons de patients prélevés avant le début de l’épidémie.
Quels sont les éléments qui ont amené certaines théories du complot ?
- L’Institut de virologie de Wuhan héberge l’équipe de Zheng-Li Shi, spécialiste de l’étude des coronavirus de chauves-souris, qui a publié le premier génome de SARS-CoV-2 et celui de RaTG13. Il est situé à 15 km du marché de fruits de mer, d’où l’épidémie a commencé à se propager. A 300 m de ce marché, se trouve un des bâtiments du Wuhan Centre for Disease Control, qui effectue également des recherches sur les coronavirus. Étant donnée la possibilité d’un accident de laboratoire, Zheng-Li Shi a rapidement été questionnée sur l’origine possible du SARS-CoV-2 et sur les recherches effectuées dans son laboratoire. Elle a alors transmis ses informations liées à l’origine du virus avec parcimonie, en juillet puis en novembre 2020. La suppression d’une base de données sur les virus de chauve-souris qu’elle avait publiée en 2019 ainsi que des conflits d’intérêt existants au sein des commissions (Lancet et OMS) mises en place pour enquêter sur l’origine de SARS-CoV-2 contribuent à alimenter les suspicions.
- Luc Montagnier, lauréat du prix Nobel pour son travail sur le virus VIH, a déclaré que le virus avait été créé de toutes pièces. Cette affirmation faisait suite à un article non-publié et erroné qui fut rapidement rétracté.
En février 2020, le gouvernement chinois a renforcé les règles de sécurité de ses laboratoires de recherche en biologie. La recherche sur les virus à potentiel pandémique est importante, mais à double tranchant : elle peut améliorer nos connaissances mais aussi augmenter le risque de pandémie si des accidents de laboratoire surviennent.
En conclusion, nous ne savons pas comment l’épidémie a commencé. Quelle que soit l’origine de SARS-CoV-2, cette pandémie nous a montré à quel point la population humaine est fragile face à de nouvelles maladies contagieuses.
Sources
Le 3 février 2020, l’équipe de Zheng-Li Shi publie la première séquence de SARS-CoV-2 et de RaTG13, virus de chauve-souris identique à 96.2%, ce que correspond à environ 1100 mutations éparpillées parmi les 30 000 lettres du génome total.
Zhou, P., Yang, X. L., Wang, X. G., Hu, B., Zhang, L., Zhang, W., ... & Shi, Z.-L.. (2020). A pneumonia outbreak associated with a new coronavirus of probable bat origin. Nature, 579(7798), 270-273.Réponse de Zheng-Li Shi aux questions du journal Science, obtenue au bout de 3 mois, et publiée le 24 juillet 2020. Aucune mention de la mine et de la pneumonie de 2012. Des traces de SARS-CoV-2 ont été détectées dans des échantillons environnementaux provenant de poignées de portes, du sol et des eaux usées du marché de fruits de mer de Wuhan, mais aucune trace de SARS-CoV-2 n’a été détecté dans les échantillons d'animaux congelés.
Coen, J. (2020). Trump ‘owes us an apology.’ Chinese scientist at the center of COVID-19 origin theories speaks out. Science.Addendum de l’article de Nature de février 2020, publié en novembre 2020, expliquant pour la première fois le lien entre RaTG13 et une mine dans laquelle plusieurs personnes avaient contracté une grave pneumonie en 2012.
Zhou, P., Yang, X. L., Shi Z.-L. (2020). Addendum : A pneumonia outbreak associated with a new coronavirus of probable bat origin. Nature, 588, E6.Analyse des séquences de SARS-CoV-2 et des virus proches pour reconstituer leur histoire évolutive. L’article écarte la modification volontaire du virus car aucune portion de séquences uniques à SARS-CoV-2 n’a été identifiée dans les bases de données. Les auteurs retiennent deux hypothèses: la contamination d’un humain par un virus qui a ensuite muté en SARS-CoV-2 ou l’évolution dans un réservoir animal puis la contamination humaine. Ils interprètent l’existence de séquences communes entre des virus du pangolin et le SARS-CoV-2 comme étant le signe de mutations naturelles. La possibilité d’une manipulation en laboratoire puis d’une fuite accidentelle est écartée sur la base du fait que le laboratoire en question n’a jamais mentionné avoir isolé un virus extrêmement proche voire identique à SARS-CoV-2.
Andersen, K. G., Rambaut, A., Lipkin, W. I., Holmes, E. C., & Garry, R. F. (2020). The proximal origin of SARS-CoV-2. Nature medicine, 26(4), 450-452.Un preprint - article qui n’est pas encore validé par la communauté scientifique ni publié - contenait des informations erronées sur le lien entre les séquences du VIH et du SARS-CoV-2. L’article fut rétracté rapidement.
Pradhan, P., Pandey, A. K., Mishra, A., Gupta, P., Tripathi, P. K., Menon, M. B., … Kundu, B. (2020). Uncanny similarity of unique inserts in the 2019-nCoV spike protein to HIV-1 gp120 and Gag. BioRxiv, 2020.01.30.927871. RÉTRACTÉAnalyse des séquences de SARS-CoV-2 et des virus proches pour reconstituer leur histoire évolutive. Les données actuelles ne permettent pas d’affirmer avec certitude que le SARS-CoV-2 résulte d'une émergence zoonotique (de l’animal vers l’humain) ou d'une fuite accidentelle d'une souche de laboratoire. L’hypothèse du pangolin comme hôte intermédiaire n’est pas claire à partir des données actuelles. Les similarités entre SARS-CoV-2 et le virus VIH-1 sont de petite taille et ont donc pu arriver par hasard.
Sallard, E., Halloy, J., Casane, D., Decroly, E., & van Helden, J. (2020). Tracing the origins of SARS-COV-2 in coronavirus phylogenies. arXiv preprint arXiv:2011.12567.Le site https://nextstrain.org analyse les séquences publiées de SARS-CoV-2 et publie régulièrement des rapports à destination du public. Le rapport du 10 avril 2020 indique que l’ancêtre commun des virus circulant a émergé à Wuhan en Chine fin novembre ou début décembre 2019.
Bell, S.M., Müller, N, Wagner, C., Hodcroft, E., Hadfield J., Neher, R. Bedford, T. (2020). Genomic analysis of COVID-19 spread. Nextstrain. Situation report 2020-04-10.Sur les 41 premiers patients COVID-19 hospitalisés à Wuhan, 14 n’avaient pas de lien avec le marché aux fruits de mer de Wuhan (dont le cas le plus ancien). NB : le rapport de l’OMS de novembre 2020 mentionne en fait 124 patients COVID-19 à Wuhan fin décembre 2019. https://sciencespeaksblog.org/2020/11/28/five-questions-on-new-data-from-china-who-showing-124-confirmed-coronavirus-patients-in-december-2019/
Huang, C., Wang, Y., Li, X., Ren, L., Zhao, J., Hu, Y., ... & Cheng, Z. (2020). Clinical features of patients infected with 2019 novel coronavirus in Wuhan, China. The lancet, 395(10223), 497-506.Les virus SARS-CoV et MERS-CoV dérivent de coronavirus de chauves-souris et les infections des premiers humains ont été causées par des civettes de marché et des dromadaires, respectivement.
Cui, J., Li, F., & Shi, Z. L. (2019). Origin and evolution of pathogenic coronaviruses. Nature Reviews Microbiology, 17(3), 181-192.Description du projet de recherche dirigé par Peter Daszak et financé par le NIH qui a commencé en juillet 2019. La troisième partie (“aim 3”) prévoit de tester différentes séquences de coronavirus pour mesurer leur infectiosité.
NIH Project 2R01AI110964-06: UNDERSTANDING THE RISK OF BAT CORONAVIRUS EMERGENCE.Une équipe internationale de 10 experts est nommée par l’OMS pour rechercher l’origine de SARS-CoV-2. Cette équipe comprend Peter Daszak, qui finance l’équipe de Zheng-Li Shi à l’Institut de virologie de Wuhan par l’intermédiaire d’EcoHealth Alliance, ce qui constitue un conflit d’intérêt important.
McCarthy, S. (2020) WHO names line-up for international team looking into coronavirus origins. 25 Nov 2020. South China Morning Post. Last accessed 7 Dec 2020.La commission mise en place par The Lancet pour examiner l’origine de SARS-CoV-2 est dirigée par Peter Daszak, alors qu’il finance l’Institut de virologie de Wuhan par l’intermédiaire d’EcoHealth Alliance.
Nuki, P., Nemey, S. (2020). Scientists to examine possibility Covid leaked from lab as part of investigation into virus origins. The Telegraph. 15 Sept 2020.EcoHealth Alliance est une organisation non gouvernementale qui vise à protéger les personnes, les animaux et l'environnement contre les maladies infectieuses émergentes. Elle est dirigée par Peter Daszac. Elle a obtenu un financement du NIH américain de 3 millions de dollars pour 5 ans (2015-2019). Une partie de cet argent a été envoyé à l’équipe de Zheng-Li Shi pour ses recherches de terrain et l’analyse des coronavirus de chauves-souris. D’après Peter Daszac, “The China bat research project was funded entirely through the NIH grant”.
Aizenman, N. (2020). Why The U.S. Government Stopped Funding A Research Project On Bats And Coronaviruses. Npr. 29 April 2020. Last accessed 7 Dec 2020.Archive internet d’un article de l’équipe de Zheng-Li Shi paru en 2019 qui décrit une base de données contenant plus de 22000 séquences de virus. L’article et la base de données correspondante ont disparu de la page web de la revue scientifique en 2020 et ne sont plus accessibles à la date du 10 décembre 2020. Les autres articles publiés par la revue (avec les doi - digital object identifier - précédents et suivants) sont bien disponibles sur internet.
Yijie, T., Bei, L., Zijian, Z., Yan, Y., Kai, Z., Lili, M., Yuewei, W., Shi, ZL. (2019). Bat and rodent-borne viral pathogen database. vol 4 (4). doi: 10.11922/csdata.2019.0018.zh